mardi 27 avril 2010

Mise au point

Le projet de loi visant à pénaliser sur la place publique le port de la burqa, chadrill ou niqab, a des raisons culturelles et politiques. 70% des Français y sont favorables et––bien que je n'aie aucune sympathie pour le gouvernement actuel et que je devine ici un coup politique sur un sujet porteur–– j'en suis venue à considérer que le vote d'une telle toi est peut-être une nécessité. Car les lois ne protègent pas seulement les êtres, elles défendent aussi parfois des idéaux et sont utiles quand ces idéaux paraissent menacés.

Le niqab, ce costume de fantôme sombre, exclusivement imposé aux femmes (par elles-mêmes ou par d'autres car il ne faut pas être naïf la pression des pairs parfois suffit à faire des mystiques zélées), dissimulant les corps et masquant les visages, choque et effraie, et semble en fin de compte être une provocation, une agression même, et une insulte aux valeurs de la République.

Là où certains y voient une liberté individuelle, nous y voyons la main de mouvements salafistes qui travaillent certains quartiers français depuis des décennies, prêchant un fondamentalisme radical qui n'a eu de cesse de rejeter les principes et us et coutumes de ce pays. Ce costume intégral devient un message, un étendard noir contre un occident jugé décadent et exhibitionniste; contre des moeurs jugées dissolues; contre une liberté des corps et des sexes jugée intolérable. Ce n'est pas un vêtement ou un signe religieux (d'ailleurs la très grande majorité des imams, y compris ceux de la prestigieuse université de théologie d' Al' Azhar, le réprouvre), ni même un moyen d'expression personnel contre l'establishment (non ces femmes en noir ne sont pas les punks d'aujourd'hui!), c'est un véritable programme politique, décliné sur une poignée de corps emprisonnés. Et avec un cynisme qui n'est pas sans rappeler celui des chemises brunes venues au Reichstag utiliser contre la démocratie même des libertés justement octroyées par la République de Weimar, les partisans du niqab s'insurgent et invoquent la liberté des individus!

Là où certains voient dans une loi contre le port du niqab sur la place publique de la discrimination ou de l'intolérance religieuse, nous y voyons une mesure urgente pour réaffirmer par la loi l'égalité entre les hommes et les femmes, face à une pratique vestimentaire qui clame l' infériorité de ces dernières et qui fait des émules chez certaines jeunes filles ayant soif d'absolu. Parce qu'elles sont de plus en plus nombreuses, il est peut-être temps en effet de rappeler ce qui n'est pas acceptable.

Car les hommes n'ont pas à cacher leur corps, les hommes bien sûr n'ont pas à être traités comme les femmes...leur corps à eux, leur visage, ne posent pas problème! En fait les partisans du niqab adhèrent à cette vision effrayante et désolante d'une humanité partagée entre des hommes libidineux et violents, et des femmes objets, éternelles tentatrices ou éternelles victimes, toujours définies en fonction du désir masculin, jamais égales des hommes. Le seul moyen d'empêcher le désordre et la violence c'est de soustraire les hommes à la tentation et donc de cacher les femmes. Et les femmes de croire alors que leur dignité réside dans la dissimulation de leur chair et la soumission à leur seigneur et maître (mari ou dieu).

Voilà ce que dit le niqab, et c'est un message qui est tout simplement incompatible avec les fondements de la République.

D'aucuns diront que les nonnes qui ne sont pas cloîtrées mais marchent aussi parfois dans nos rues tout en portant habits religieux et voile, pourraient aussi poser problème, et les supporters du niqab voudraient nous faire croire que c'est la même chose. Mais ça n'est pas le cas. D'abord les nonnes ne dissimulent pas leurs corps, elles ne cachent pas leur visage et leur yeux; elles portent une sorte d'uniforme religieux qui signale un choix de vie particulier, hors de la vie civile, montrant ainsi leur vocation singulière et l'ordre auquel elles appartiennent. Les porteuses de burqa ne sont pas des religieuses même si elles se disent très croyantes ––et même si certaines d'entre elles sont probablement des mystiques comparables à ceux que le catholicisme a pu connaître en d'autres temps–– car elles ne font pas la distinction entre religieuses et laïques. La grande différence avec les nonnes est qu'elles portent leur voile intégral en tant que femmes et prétendent vivre "dans le siècle" tout en vivant "dans la religion". Cette confusion est incompatible avec la laïcité française qui sépare les deux mondes et renvoie la foi à la seule sphère privée. En France, l'exercice du culte est libre, il n'y a pas de différences entre les religions, et les signes religieux ostensibles hors des établissements publiques sont acceptés, mais il faut choisir entre vivre dans la cité, et "vivre dans la religion". C'est comme ça, et personnellement je m'en réjouis.

Dans d'autres pays du monde, en particulier dans des pays à majorité musulmane, au Maghreb ou en Indonésie, où ce voile intégral n'a jamais été porté (et pour cause il est importé d'Arabie Saoudite et d'Iran), le niqab devient aussi un problème car les porteurs et supporteurs de cette burqa veulent imposer une certaine vision du monde et de la société et imprimer dans les esprits l'idée que leur démarche est le signe d'un foi plus profonde, moyen insidieux de dire que les autres sont des "mous" voire des mécréants. Le niqab invite à la hiérarchisation entre les êtres selon les sexes et selon la dévotion, et à la surenchère dans le radicalisme. C'est une voie bien dangereuse et il n'y a rien de déshonorant à la dénoncer.

C'est bien une question politique, et dans ce pays, n'en déplaise aux porteuses de niqab qui invoquent déjà les foudres d' Allah si la loi est votée, la religion ne fait pas la politique; ce sont des principes choisis par les hommes sans référence à une quelconque parole divine, qui déterminent la vie en société. Ici la liberté des individus est limitée par la loi qui interdit certains comportements et certains propos, et l'égalité entre les êtres humains est une pierre angulaire de l'édifice républicain.

Si une poignée d'hommes se mettaient à aller nus et couverts de chaînes, prônant leur servitude sur la place publique, une loi serait peut-être aussi nécessaire.

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